Juges 9

Abimélek devient roi à Sichem

1Abimélek, fils de Yeroubaal, c'est-à-dire Gédéon, se rendit à Sichem pour parler avec ses oncles maternels et toute la famille de sa mère. Il leur dit :[#9.1 Dans tout ce chapitre est appelé , Comparer 6.32.]

2« Allez demander aux citoyens de la ville s'ils préfèrent être gouvernés par les soixante-dix fils de Yeroubaal ou par un seul homme. Et rappelez-vous que je suis de votre famille. »

3Les oncles d'Abimélek allèrent répéter ses paroles aux citoyens de Sichem. Ceux-ci décidèrent de prendre parti pour lui parce qu'il était un des leurs.

4Ils lui donnèrent soixante-dix pièces d'argent provenant du temple de Baal -Berith. Avec cet argent, Abimélek paya des vauriens et des aventuriers pour qu'ils le suivent.[#9.4 Comparer 8.33.]

Abimélek, un roi sans avenir

(9.1-6)

Abimélek n'est pas un juge au sens où ce livre l'entend : on n'emploie pour lui aucun des deux verbes typiques de cette fonction (« juger » et « sauver ») ; elle ne se transmet d'ailleurs pas d'une génération à l'autre.

Cette histoire permet de prolonger la réflexion, amorcée avec Gédéon, sur le pouvoir et les relations entre les chefs et le peuple (8.22-32). Abimélek utilise le meurtre et l'argent pour s'emparer du pouvoir.

5Il se rendit dans la maison de son père à Ofra et, là, il tua ses frères, les soixante-dix fils de Yeroubaal, sur le même rocher. Seul Yotam, le plus jeune d'entre eux, en réchappa, car il s'était caché.

6Les citoyens de Sichem et toute la population de Beth-Millo se rassemblèrent. Ils se rendirent au chêne de Sichem, à côté de la pierre dressée, et proclamèrent Abimélek roi.[#9.6 ou : l'expression désigne probablement la partie haute de la ville. – A propos du , voir Jos 24.26.]

La fable de Yotam

7Yotam en fut informé. Il monta au sommet du mont Garizim et s'écria, aussi fort qu'il put : « Écoutez-moi, gens de Sichem, si vous voulez que Dieu vous écoute ![#9.7 Voir Deut 11.29 et la note.]

8« Un jour, les arbres décidèrent de se choisir un roi. Ils dirent à l'olivier : “Règne sur nous !”

9Mais l'olivier répondit : “Croyez-vous que je vais renoncer à produire de l'huile, appréciée par les dieux et par les hommes, pour me fatiguer à gouverner les autres arbres ?”

10Les arbres dirent alors au figuier : “Toi, viens régner sur nous !”

11Mais le figuier répondit : “Croyez-vous que je vais renoncer à produire des fruits sucrés et délicieux pour me fatiguer à gouverner les autres arbres ?”

12Ils dirent ensuite à la vigne : “Toi, viens régner sur nous !”

13Mais la vigne répondit : “Croyez-vous que je vais renoncer à produire du vin, qui remplit de joie les dieux et les hommes, pour me fatiguer à gouverner les autres arbres ?”

14Finalement les arbres s'adressèrent d'un commun accord au buisson d'épines : “Toi, viens régner sur nous !”, lui dirent-ils.

15Et le buisson d'épines leur répondit : “Si vraiment vous voulez me choisir comme roi, venez vous placer sous mon ombre ! Si vous ne le faites pas, qu'un feu jaillisse de mes épines et brûle même les cèdres du Liban !” »[#9.15 Le , chaîne montagneuse au nord de la Palestine, était célèbre par ses forêts de]

Un roi est-il nécessaire ?

(9.8-21)

Yotam devient le porte-parole du parti anti-royaliste. La fable, qui dépeint la royauté comme un buisson d'épines, inutile et malfaisant, est un des textes les plus profondément antimonarchistes de l'Ancien Testament. Cette critique ne vise pas simplement les agissements d'un certain roi, elle met en question les fondements mêmes de la monarchie israélite. On trouve un discours critique assez proche de celui de Yotam dans la bouche du prophète Samuel, qui est aussi le dernier des juges (1 Sam 8.7-18).

16Yotam continua : « Quant à vous, avez-vous agi de façon droite et loyale lorsque vous avez proclamé Abimélek roi ? Vous êtes-vous conduits correctement envers Yeroubaal et sa famille ? Lui avez-vous été reconnaissants des services qu'il vous a rendus ?

17Mon père a combattu pour vous, il a risqué sa vie pour vous délivrer des Madianites.

18Et voilà qu'aujourd'hui vous vous êtes soulevés contre sa famille ; vous avez tué ses fils, soixante-dix hommes, sur un même rocher. Mais Abimélek, le fils qu'il a eu de sa servante, vous l'avez proclamé roi sur les citoyens de Sichem parce qu'il est votre compatriote.

19Si aujourd'hui vous avez agi de façon droite et loyale envers Yeroubaal et sa famille, qu'Abimélek fasse votre bonheur et vous le sien.

20Sinon, qu'un feu sorte d'Abimélek pour brûler les citoyens de Sichem et la population de Beth-Millo, et qu'un feu sorte des habitants de Sichem et de Beth-Millo pour brûler Abimélek. »

21Puis Yotam s'enfuit et alla se réfugier à Beéra, parce qu'il avait peur de son frère Abimélek.[#9.21 : localité située à 15 km au sud-est du mont Tabor.]

La révolte de Sichem contre Abimélek

22Abimélek exerça le pouvoir sur Israël pendant trois ans.

23Après quoi Dieu envoya un esprit de discorde entre le roi et les citoyens de Sichem, et ceux-ci se révoltèrent contre Abimélek.

24De cette manière, ils allaient tous payer pour leurs crimes : Abimélek, parce qu'il avait tué ses frères, les soixante-dix fils de Yeroubaal, et les Sichémites parce qu'ils s'étaient faits les complices de ce massacre.

25Pour faire du tort à Abimélek, les citoyens de Sichem postèrent des hommes en embuscade sur les hauteurs proches de la ville ; ces hommes dévalisaient les voyageurs passant à leur portée. Abimélek en fut informé.[#9.25 Ces embuscades privaient Abimélek des droits qu'il percevait sur les marchandises passant par Sichem.]

L'esprit de discorde

(9.22-25)

Abimélek a perdu le consensus et le soutien de l'assemblée : un esprit de discorde a été envoyé par le Seigneur. Ce même esprit est à l'origine de la mélancolie du roi Saül (1 Sam 16.14) et inspire des prophètes de mensonge comme ceux qui conseilleront mal le roi Achab (1 Rois 22.21s).

26Un jour, Gaal, fils d'Ébed, arriva à Sichem avec ses frères ; les citoyens de la ville placèrent leur confiance en lui.

27Ils allèrent dans leurs vignes, récoltèrent les raisins et les pressèrent, puis ils organisèrent une fête. Ils se rendirent au temple de leur dieu, firent un banquet et prononcèrent des malédictions contre Abimélek.

28Gaal leur demanda : « Qui sommes-nous à Sichem pour nous laisser dominer par Abimélek et qui est-il, lui ? C'est un fils de Yeroubaal et il fait gouverner la ville par Zéboul, n'est-ce pas ? Vous donc, soyez loyaux envers Hamor, le fondateur de Sichem ! Nous n'avons aucune raison d'être soumis à Abimélek.[#9.28 : voir Gen 33.19.]

29Pour ma part, si on me confiait le sort des gens de Sichem, je renverserais Abimélek. » Puis Gaal s'écria : « Abimélek, renforce ton armée et viens me combattre ! »[#9.29 : certains traduisent – d'après l'ancienne version grecque –]

Conflit entre le roi et les citoyens

(9.26-41)

Une autre explication à l'échec d'Abimélek est la conjuration de Gaal qui fait valoir des arguments de campagne électorale : Abimélek, gouvernant par délégation, est absent, et de plus, il n'est pas un « enfant du pays ». Aucun espace politique de négociation n'étant ouvert, la bataille fait rage, au profit d'abord d'Abimélek.

Le livre des Juges ouvre ainsi une réflexion sur les mensonges, ruses, faux témoignages et destructions qu'emploient fréquemment ceux qui ont toujours peur de perdre le pouvoir qu'ils détiennent. A l'inverse, Dieu entretient avec son peuple une relation de confiance.

30Lorsque Zéboul, gouverneur de la ville, apprit les paroles que Gaal avait prononcées, il se mit en colère.

31Il envoya secrètement des messagers dire à Abimélek : « Gaal, fils d'Ébed, et ses frères viennent d'arriver à Sichem et sont en train de soulever la ville contre toi.

32Il faut donc que, cette nuit, toi et tes hommes vous alliez vous cacher dans la campagne.

33Tôt demain matin, au lever du soleil, tu viendras attaquer la ville et, lorsque Gaal et ses partisans sortiront à ta rencontre, tu sauras les traiter comme il convient. »

34La nuit suivante, Abimélek et tous ses hommes se répartirent en quatre groupes et allèrent se cacher près de Sichem.

35Lorsque Gaal sortit de la ville et se tint près de la porte, Abimélek et son groupe surgirent de leur cachette.

36Gaal les vit et dit à Zéboul : « Regarde ! Des hommes descendent du haut des collines. » – « Mais non, lui répondit Zéboul, c'est l'ombre des collines que tu prends pour des hommes ! »

37Gaal insista : « Regarde ! Ce sont bien des hommes qui descendent de la colline située au centre, et un autre groupe vient par la route du chêne des Devins. »[#9.37 Le est probablement un autre nom du chêne de Moré (Gen 12.6 ; Deut 11.30).]

38Zéboul répliqua : « Où sont donc tes beaux discours ? Tu nous as dit : “Qui est Abimélek pour que nous nous laissions dominer par lui ?” Eh bien, voilà les gens que tu as traités avec mépris. Maintenant, va donc te battre contre eux ! »

39Gaal sortit alors de la ville à la tête des Sichémites, et il livra bataille à Abimélek.

40Abimélek le força à s'enfuir et le poursuivit. Beaucoup d'hommes furent mortellement blessés avant même d'atteindre la porte de la ville.

41Abimélek alla s'installer à Arouma tandis que Zéboul chassait Gaal et ses frères de Sichem, en leur interdisant d'y revenir.[#9.41 : localité située à 14 km au sud-est de Sichem.]

42Le jour suivant, les gens de Sichem s'apprêtèrent à se rendre dans les champs, et Abimélek en fut informé.

43Il prit ses hommes, les répartit en trois groupes et se plaça en embuscade dans la campagne. Lorsqu'il vit les Sichémites sortir de la ville, il se précipita vers eux pour les attaquer.

44Abimélek et son groupe se hâtèrent de prendre position à la porte de la ville, pendant que les deux autres groupes s'attaquaient aux gens dans la campagne et les massacraient.

45Abimélek poursuivit l'offensive durant toute la journée et s'empara de la ville ; il en tua les habitants, la détruisit entièrement et répandit du sel sur son emplacement.[#9.45 sur une ville détruite est un rite de malédiction. Par son geste Abimélek veut donner un caractère définitif à la fin de Sichem.]

Peut-on régner sur des cadavres ?

(9.42-49)

Jeter du sel sur une ville détruite, c'est la vouer à la stérilité et à la malédiction. Toute l'entreprise d'Abimélek vise à la ruine définitive de Sichem et de ses alentours. Curieux roi que cet Abimélek qui règne sur des ruines et un tas de cadavres !

Massacres et destructions peuvent-ils constituer une méthode de gouvernement ?

46Lorsque les habitants de Migdal-Sichem l'apprirent, ils se rendirent tous dans la salle aménagée sous le temple de Baal-Berith.[#9.46 : Comparer 8.33 et la note.]

47On informa Abimélek qu'ils s'étaient réfugiés à cet endroit.

48Il partit alors sur le mont Salmon avec ses hommes. Il prit une hache, coupa une branche d'arbre et la mit sur son épaule. Il ordonna à ses hommes de se dépêcher d'en faire autant.[#9.48 Le désigne peut-être un des versants du mont Ébal (voir Deut 11.29 et la note).]

49Chacun d'eux coupa une branche, puis ils suivirent Abimélek. Ils allèrent entasser les branches contre la salle inférieure du temple et l'incendièrent avec tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur. C'est ainsi que moururent tous les habitants de Migdal-Sichem, un millier d'hommes et de femmes environ.

Mort d'Abimélek

50De là, Abimélek se rendit à Tébès. Il assiégea la ville et s'en empara.[#9.50 Localité à quelques kilomètres au nord-est de Sichem.]

51Or il y avait au milieu de la ville une tour fortifiée. Toute la population, hommes et femmes, alla s'y réfugier. Ils fermèrent les portes derrière eux et montèrent sur le toit en terrasse.

52Abimélek vint attaquer la tour, il s'approcha de la porte d'entrée pour mettre le feu au bâtiment.

53Mais une femme lui jeta une grosse pierre sur la tête et lui brisa le crâne.

54Aussitôt Abimélek appela le jeune homme qui portait ses armes et lui ordonna : « Prends ton épée et achève-moi pour qu'on ne puisse pas raconter qu'une femme m'a tué. » Le jeune homme lui passa l'épée à travers le corps et Abimélek mourut.

55Lorsque les Israélites virent qu'il était mort, ils s'en retournèrent chacun chez soi.

Mourir de la main d'une femme

(9.53-54)

C'est la honte d'un guerrier que d'être abattu par une femme. On peut rapprocher la mort d'Abimélek de celle de Sisra (4.21). Car Abimélek, lui aussi, est tué par une femme qui détruit ses rêves de grandeur en l'atteignant à la tête avec une pierre.

Dieu punit-il les méchants ?

Nous avons ici une interprétation de l'histoire d'Abimélek déjà annoncée (9.24-25). Cette explication renvoie à une théologie de la rétribution où chacun est traité selon son comportement. Il ne s'agit pas ici de distinguer entre les bons et les méchants puisqu'il n'y a que des méchants !

Ailleurs dans la Bible on trouve une réponse différente à cette question. Par exemple, dans la littérature de sagesse, le sage affirme : « Des justes sont traités comme le méritent les méchants, et des méchants connaissent la réussite que méritent les justes » (Eccl 8.14).

56De cette manière, Dieu fit retomber sur Abimélek le mal qu'il avait commis à l'égard de son père en tuant ses soixante-dix frères.

57Dieu avait également fait subir aux gens de Sichem les conséquences de leur grande méchanceté. Les malédictions que Yotam, fils de Yeroubaal, avait prononcées contre eux tous se réalisèrent ainsi.[#9.57 Comparer 9.20.]

Société biblique française – Bibli'O, 2004
Published by: French Bible Society