Lamentations 3

En pleine détresse une vraie raison d'espérer

Les souffrances d'un poète

(3.1-3)

1Je suis l'homme qui a connu la misère[#3.1 Chap. 3 : poème alphabétique ; Comparer 1.1 et la note.]

sous les coups furieux du Seigneur.

2Il m'a poussé devant lui,

il m'a fait marcher

non dans la lumière

mais dans le noir.

3C'est sur moi seul qu'il continue

à porter la main tous les jours.

Voie sans issue

(3.4-20)

Le séjour des morts évoqué dans ces versets était, pour les Hébreux, un endroit obscur sans aucune perspective de salut.

Les images des v. 1 à 20 représentent Dieu de manière bien différente que ne le font certains psaumes. Le Psaume 23 (Ps 23), par exemple, décrit Dieu comme un berger attentionné. Ici, au contraire, le poète a le sentiment que le Seigneur se comporte avec son peuple comme une bête sauvage. Comment ne pas désespérer si le Seigneur lui-même ne semble plus être une source d'espérance ?

4Il m'a fait dépérir de la tête aux pieds,

il m'a brisé les os.

5Il a dressé autour de moi comme un mur

d'amertume et de peine.

6Il m'a relégué dans l'obscurité

comme les morts du passé.

7Il m'a emmuré

pour m'empêcher d'en sortir,

il m'a chargé de chaînes.

8J'ai beau crier au secours,

il fait obstacle à ma prière.

9Il m'a barré la route

avec des blocs de pierre

et m'a engagé sur une fausse voie.

10Il a été pour moi un ours en embuscade,

un lion tapi dans le fourré.

11Il m'a rendu la vie impossible,

il m'a paralysé et laissé sans voix.

12Il a tendu son arc

et m'a pris comme cible,

13il m'a transpercé les reins

de toutes ses flèches.

14Tout le monde rit de moi,[#3.14 : le texte semble hésiter entre deux sens : ou]

tous les jours on me ridiculise.

15Il m'a fait boire tout mon soûl d'amertume

et m'a enivré de mélancolie.

16Il m'a obligé à croquer des cailloux

et m'a piétiné dans la poussière.

17J'ai été privé d'une vie paisible,[#3.17 On peut comprendre aussi, comme un reproche adressé à Dieu :]

j'ai oublié ce qu'est le bonheur.

18Je le dis : je n'ai plus d'avenir,

je n'attends plus rien du Seigneur.

19Je suis errant et humilié ;

y penser est un amer poison pour moi.

20Je n'en peux rien oublier

et je reste accablé.

21Mais voici ce que je veux me rappeler,

voici ma raison d'espérer :

Et pourtant…

(3.21-27)

Comme un sursaut qui permet d'échapper au néant, surgit une déclaration de confiance dans la bonté du Seigneur. Le poète semblait avoir perdu toute raison d'espérer. Il proclame pourtant que Dieu est bon, même lorsqu'il punit. Plutôt que de se révolter dans l'épreuve, mieux vaut accepter la leçon que Dieu veut donner à travers elle.

22Les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées,

il n'est pas au bout de son amour.

23Sa bonté se renouvelle chaque matin.

Que ta fidélité est grande, Seigneur !

24Je le dis : le Seigneur est mon trésor,

voilà pourquoi j'espère en lui.

25Le Seigneur est bon

pour qui compte sur lui,

pour qui se tourne vers lui.

26Il est bon d'espérer en silence

la délivrance que le Seigneur enverra.

27Il est bon pour l'homme

d'avoir dû se plier à des contraintes

dès sa jeunesse.

La confiance en l'amour de Dieu

(3.28-33)

Le poète semble encourager la passivité devant le malheur et une soumission muette à celui qui en est la cause. Il n'est pourtant pas question de se soumettre aveuglément aux caprices d'une divinité tyrannique. Il s'agit plutôt de reconnaître la souveraineté et la bonté de Dieu, qui déplore les souffrances endurées par son peuple. L'amour de Dieu et sa fidélité envers son peuple sont permanents et l'emportent sur le jugement. Jamais Dieu ne prend plaisir à faire souffrir.

28Qu'il s'isole en silence

quand le Seigneur lui impose une épreuve !

29Qu'il s'incline,

la bouche dans la poussière,

dans l'espoir que le Seigneur intervienne !

30Qu'il tende la joue à celui qui le frappe,[#3.30 Comparer Matt 5.39.]

et qu'il se laisse abreuver d'insultes !

31Car le Seigneur n'est pas de ceux

qui rejettent pour toujours.

32Même s'il fait souffrir,

il reste plein d'amour,

tant sa bonté est grande.

33Ce n'est pas de bon cœur qu'il humilie

et qu'il fait souffrir les humains.

Pourquoi ce malheur ?

(3.34-51)

Le poète réitère l'explication traditionnelle qui attribuait les catastrophes nationales aux transgressions morales et religieuses du peuple. Face à ces désordres, la seule réponse acceptable par Dieu serait donc que les humains manifestent un véritable désir de changement.

Pourquoi le malheur s'abat-il sur les humains ? Pour le poète, Dieu est souverain sur tout ce qui advient dans leur vie. Souvent dans la Bible, le bonheur récompense une conduite droite ; un comportement mauvais entraîne le malheur. Dieu pourrait-il renverser l'ordre des choses et rétablir son peuple malgré ses révoltes passées ? Dieu semble se cacher. Peut-il encore se pencher vers son peuple ?

34Quand on foule aux pieds

tous les prisonniers d'un pays,

35quand on défie le Dieu très-haut

en violant les droits de l'homme,

36quand on tord la justice dans un procès,

le Seigneur ne le voit-il pas ?

37Qui peut, d'un seul mot,

provoquer l'événement ?

N'est-ce pas le Seigneur qui décide ?

38N'est-ce pas la parole du Dieu très-haut

qui suscite tout, malheur ou bonheur ?

39Alors de quoi l'homme peut-il se plaindre,

s'il est encore en vie, malgré ses fautes ?

40Examinons de près notre conduite

et revenons au Seigneur.

41Prions de tout notre cœur,

en levant les mains

vers Dieu qui est dans les cieux.

42Nous avons été des rebelles endurcis,

et toi, Seigneur,

tu ne nous l'as pas pardonné.

43Enfermé dans ta colère,

tu nous as poursuivis,

massacrés sans pitié.

44Tu t'es retiré derrière un nuage

pour être inaccessible à notre prière.

45Tu as fait de nous des balayures,

des ordures parmi les autres peuples.

46Tous nos ennemis ouvrent la bouche

pour nous provoquer.

47Notre sort, c'est l'effroi, le vertige,[#3.47 ou]

la dévastation, le désastre.

48Mes yeux laissent couler

des torrents de larmes

à cause du désastre de mon peuple.

49Ils sont une source intarissable,

car nous n'avons aucun répit.

50J'attends que le Seigneur se penche

de là-haut

pour regarder, et qu'il voie :

51Ce qui arrive aux filles de ma ville

est un spectacle trop douloureux

pour moi.

Dieu entend les cris

(3.52-57)

Alors qu'il se sent totalement perdu, le croyant trouve le recours de dire à Dieu sa confiance. Dans la tourmente qui l'entraîne, il s'appuie sur son expérience passée. Ses propos reflètent une conviction que l'on retrouve dans de nombreux psaumes : même dans les moments les plus pénibles, Dieu demeure proche des siens (Ps 130). Il entend leurs cris et il les libère. Plutôt que de céder au désespoir, le poète lance un appel à s'en remettre à celui qui peut sauver son peuple.

Cette prière fait sans doute allusion à un épisode dramatique de la vie du prophète Jérémie (Jér 38.6-13).

52Ceux qui m'en veulent sans raison

m'ont pourchassé comme un oiseau.

53Ils m'ont enfermé tout vivant

dans une fosse,

ils ont placé une pierre

au-dessus de moi.

54L'eau montait plus haut que ma tête ;

je me suis dit que j'étais perdu.

55Au fond du gouffre, Seigneur,

j'ai fait appel à toi.

56Tu m'as entendu te crier :

« Ne bouche pas tes oreilles

à mes soupirs et à mes cris. »

57Quand je t'ai appelé, tu t'es approché

et tu m'as dit : « N'aie pas peur. »

Rends-moi justice !

(3.58-66)

La prière s'achève par un appel à la vengeance. Elle témoigne d'une compréhension de la justice divine courante dans la Bible. Le Seigneur ayant fait alliance avec son peuple, il est de son devoir de le protéger des ennemis. Bien que le cri du poète soit exprimé à la première personne du singulier, il est celui de tout un peuple humilié par la défaite.

58Seigneur, tu as plaidé pour moi,

tu m'as sauvé la vie.

59Seigneur, tu as vu quel tort on m'a fait,

rends-moi donc justice.

60Tu as vu

comment on s'est vengé de moi,

tu as vu

les projets qu'on formait contre moi.

61Seigneur, tu as entendu ces insultes,

tout ce qu'on projetait contre moi.

62Les discours

et les pensées de mes adversaires

sont tournés contre moi tous les jours.

63Regarde tout ce qu'ils font :

je suis le sujet de leurs chansons.

64Seigneur, tu les traiteras en retour

comme ils m'ont traité.

65Tu rendras leur esprit aveugle,[#3.65 : sens probable d'un terme inconnu par ailleurs.]

ce sera ta malédiction sur eux.

66Tu les poursuivras de ta colère,

tu les élimineras de la terre.

Société biblique française – Bibli'O, 2004
Published by: French Bible Society